Cambodge meurtri

Un visage, un visage, un autre visage, un autre visage… Des dizaines de visages, des centaines de visages. Photographiés à leur arrivée dans la sinistre prison de Tuol Sleng (« S21 ») créée par les Khmers Rouges dans le plus grand secret à Phnom Penh, ils n’en ressortiront jamais. Aujourd’hui, on peut visiter ce musée du génocide et cette visite me hante depuis…
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On est arrivés au Cambodge à la mi-janvier. Nous avons visité Battambang et Siem Reap avec les temples d’Angkor et nous sommes revenus à Phnom Penh pour prendre un bain de famille, parce que le cousin et parrain de Benoît habite ici. En trois semaines, nous avons vécu la vie d’expat’, vu ce que l’homme peut construire de plus beau, et constater les effets de ce que l’homme peu faire de plus laid.
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« S21 », ancienne école reconvertie en maison des horreurs, en pleine ville, dans le plus grand secret.

Les victimes étaient considérés comme des ennemis du régime, souvent des intellectuels ou des médecins, et elles devaient disparaître, leurs familles avec. Même les enfants avec des lunettes, considérés comme « intellos », se sont fait assassinés! Ensuite ça a été au tour des cadres du régime de se faire interner, torturer et tuer à S21 lors des purges organisées par Pol Pot.
À Tuol Sleng, 20 000 personnes se sont fait tuer ou emmener aux Killing Kields, à une dizaine de kilomètres de la ville, là où charniers et piles de crânes sont maintenant exposés devant les touristes. En tout, les Khmers Rouges ont tué près de deux millions de personnes (1 Cambodgien sur 5! ) entre 1975 et 1979. C’est-à-dire quand j’avais entre un et 5 ans. D’autres ont survécu de peine et de misère dans des camps de travaux forcés.
Benoît et moi avions fait garder les filles pour visiter le musée. On n’a pas eu le courage d’aller voir les crânes alignés des Killings Fields. Le musée, avec ses photos de tortures, ses sommiers métalliques éventrés toujours là  (là où étaient attachés les prisonniers pour la torture) sur un plancher taché par des centaines de litre de sang séché, les couloirs de cellules de un mètre sur deux mètres et demi où ils étaient entassés parfois à trois, les longues barres de métal avec anneaux pour attacher les pieds de douzaines de prisonniers d’un coup pendant la nuit… C’est intenable. Et les photos… Des hommes, des femmes, des enfants, des bébés. Quand la prison a été libérée, il y avait 7 survivants. Nous avons vu deux de ces survivants qui viennent signer des livres et parler aux touristes. Nous n’avons pas pu les regarder dans les yeux.
Et les questions me hantent. Si j’avais été Cambodgienne? Et les gens de l’âge de mes parents que je croise dans la rue? Qu’étaient-ils de 1975 à 1979? Qu’ont-ils fait? Qui ont-ils perdu? Qui ont-ils tué?
Ces questions me hantent… Et la situation au Cambodge me touche plus que les autres. Pourtant, on a visité l’Argentine et le Chili qui ont connu la dictature en même temps et comptent encore leurs disparus! J’ai vu les grands-mères de la place de Mai, toujours à la recherche des bébés volés lors de la dictature militaire en Argentine (1976) et le Palacio de La Moneda à Santiago de Chili ou Allende s’est suicidé au début de la dictature de Pinochet (1973). Tout ça se déroulait au même moment, quand je vivais mes premières années dorées, nageant dans l’amour, le bonheur, l’abondance et la sécurité, au Nouveau-Brunswick.
Qu’est-ce qui me touche tant au Cambodge? J’ai vu la pauvreté ailleurs, j’ai vu la corruption ailleurs, j’ai vu des gens qui doivent se débrouiller avec les moyens du bord ailleurs, j’ai vu la résilience ailleurs, mais je ressens quelque chose de différent ici. J’ai mis le doigt dessus. Ce n’est peut-être que le fruit de mon imagination mais j’ai l’impression que la tristesse s’est installée dans les gènes des Cambodgiens. C’est comme si on la sent, derrière leur gentillesse authentique. Est-ce le poids de la proximité entre les anciennes victimes et les bourreaux?  La douleur encore présente, transmise physiquement aux nouveaux-nés? Les sourires sont là, mais ils s’éteignent vite et ce qui marque le plus, ce sont les enfants qui sourient si peu! Quel décalage après Bali, où tout le monde nous a paru si gai et souriant!
Et le contraste est d’autant plus frappant quand on voit ce que le peuple khmer a pu construire de plus fabuleux, quand on voit la résilience et les projets de reconstruction.

La visite du pays…. Ou ce qui m’a touchée

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À Battambang, une petite ville coloniale de l’ouest du pays, nous avons visité l’école de cirque « Le Phare Ponleu Selpak ». Neuf enfants issus d’un camp de réfugiés qui ont suivi les cours de dessin d’une française dans leur camp ont décidé lors de leur retour au Cambodge de former cette école dans les années 1990, avec leur ancienne professeur, afin de permettre aux enfants d’exprimer leurs traumatismes de guerre. Aujourd’hui, l’école enseigne les beaux-arts, les arts vivants et le cirque. Les locaux abritent aussi une école publique gratuite. En tout, 2500 enfants la fréquentent, dont beaucoup d’orphelins et de défavorisés. On a vu un spectacle de cirque. Expression pure de la résilience.
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Après Battambang, destination Siem Reap, pour voir les temples d’Angkor. Nous consacrerons une entrée de blogue sur cette merveille du monde. Expression pure du sublime.
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Les écoles…

À Siem Reap, j’ai eu la chance de faire un peu de bénévolat dans une école. Je suis passée par hasard devant une affiche où on demandait aux touristes de consacrer une heure de leur temps pour aider avec la prononciation de l’anglais. (Oui oui, moi, prof d’anglais!) L’école offre des cours d’anglais gratuits aux enfants défavorisés, mais les professeurs, presque pas payés, veulent de l’aide. Résultat: j’ai enseigné deux cours d’une heure, à une vingtaine d’ados dont la moitié ne suivaient rien mais dont l’autre moitié voulaient vraiment apprendre. Ils se sont bien amusés avec mes mîmes, mes dessins, mes chansons et mes jeux. Et ça m’a fait du bien de faire autre chose qu’être touriste.
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On a visité l’école le lendemain avec les filles. 62 élèves dans une classe de première année, ça fait du bruit! Pauvre enseignante!
Mais ce n’est rien à côté de l’école du village flottant qu’on a visitée. Une « école » flottante que les touristes peuvent aller visiter, encouragés à acheter un sac de riz à 50 dollars pour nourrir les enfants. Nous ne sommes pas fait prendre au jeu, sachant qu’ils vendent le sac trop cher aux touristes, pour peut-être le revendre ensuite. Le pire, c’est que les enfants sont toujours en « récréation ». Pas de cours lors de notre visite. Est-ce une vraie école? Un attrape-touristes? L’école, c’est une barge, avec 3 salles de classe ouvertes sur l’eau. Pas de rambarde de sécurité, et des enfants qui courent dans tous les coins. Je garderai toujours en mémoire l’image du petit garçon qui s’est abreuvé à même le lac pollué, tout près des latrines (trou qui donne sur le lac).
Bref, des images d’horreur, des images sublimes, des millions de questions, très peu de réponses.
À venir…notre vie de touristes au Cambodge et note vie d’Expat’ au Cambodge.

6 réponses sur « Cambodge meurtri »

  1. Merci Cette page nous rappelle notre séjour et les émotions ressenties.

    Le silence sur la période passée est révélateur de choses déchirantes : qu’aurais-je fait si on m’avait menacé de tuer tous les miens instantanément si je n’obéissais pas immédiatement ?
    Aujourd’hui qui est sûr que dans sa famille personne n’a pas eu un jour trop peur pour être un héros ?
    1 habitant sur 5 tué en quelques années (2 ) ? çà fait à peu près 1 homme sur deux adulte ….
    L’un d’entre eux nous a dit pour en parler : j’ai 2 enfants ………………………….qui ont survécu …….

    Pour le niveau de vie notre tuk tuk était content quand il gagnait en moyenne l’équivalent de 120 euros dans un mois (dont 60 servait a payer le prêt pour le tuk tuk)

    Alors les sourires des enfants sont encore plus beaux quand on a la chance d’en voir …..

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  2. Chère Julie …
    Ouf !!! juste te te lire me chavire le coeur 😦 Il y a tant de souffrance dans ce monde et toujours la même question : pourquoi ?
    J’aurais bien de la difficulté moi aussi à visiter ces endroits – mais il est important de le faire et de voir ce que l’homme peut faire (comme tu le dis ) de plus beau, et de plus laid.
    Je vous souhaite une suite plus joyeuse …
    S

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  3. Merci Julie pour ce beau témoignage. D’après Naomi Klein les tyrannies dans cette région (et notamment Suharto en Indonésie) on servi de référence aux « Chicago boys » de Friedman pour organiser les dictatures sanglantes en Amérique du sud (Chili, Argentine, Brésil, Venezuela).

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